Entre, lieu de production et de composition.

Publié le par marie


Espace entre

 

Dans ces mouvements de fissuration de la limite intérieur/extérieur, il se peut que l'espace "entre" soit une manière de penser en dehors de la binarité exclusive intérieur/extérieur, ou tout du moins de l'assouplir.

L'espace entre peut constituer une unité de mesure, une unité de pensée, qui traverse les limites entre intérieur et extérieur sans changer de nature, c'est-à-dire en lui faisant perdre de la consistance.

 

 

L'espace entre ne se définit pas tant par des limites et barrières, que comme une zone. Ce qu'il y a entre toi et moi, ça ne se définit pas strictement comme ce qui est contenu dans les limites de ce qui est moi et ce qui est toi; ça déborde en toi et en moi et sur tout autre chose. C'est toute une zone teintée par ces influences, une zone évidente aux limites changeantes.

    

Dans mon projet particulier d'étude des corps en mouvement, l'espace 'entre' peut se penser comme espace entre les spectateurs et les danseurs, comme l'espace entre les corps en mouvement, comme espace entre les mouvements les uns les autres, espace entre les dynamiques du corps qui composent le mouvement.

L'espace entre est l'espace où se produit et se joue la tension, l'échange de forces. La différence de potentiel appuie et force sur cette zone entre, où se crée un certain agencement de cette tension.

 

L'information synaptique se transmet par différence de potentiel. Où commence et où s'arrête le message? Est-ce que le niveau de charges est déjà le message? Se brouillent quelque peu les limites de début et de fin.

  

L'inspiration n'est-elle pas une tension créée par des différences d'images? La composition se situerait alors dans cet espace entre les mouvements, exactement au moment où il est impossible de définir la fin d'un mouvement et le début de l'autre, au moment où ils se fondent l'un dans l'autre, la composition non séquentielle et non linéaire se donne comme différences de couleur et de rythme, de "qualité" et ruptures, d'une zone entre qui est alors non extensive, pure intensité qui marque la composition.

 

La relation entre les danseurs se donnent pleinement dans cet espace entre. Non plus un espace extérieur qui coordonne les mouvements entre les danseurs, qui choré-graphie depuis l'extérieur pour être vu depuis l'extérieur, mais une composition dans une perception/action dans un espace ouvert entre les danseurs. Chaque geste traverse l'espace pour percuter et s'offrir à la possible composition d'un autre corps.

La performance en public comprendrait alors comme règle du jeu d'élargir l'espace entre jusqu'aux spectateurs; les inclure dans le même espace pour le temps de la pièce, du morceau. Ils ne sont plus l'extérieur, l'œil jugeant et comparant, mais participant. La participation du public dans les performances à partir des années 60 constituerait un signe de cette resituation de la relation artiste/spectateur, non plus comme un espace intérieur/extérieur, mais comme la constitution d'un espace entre.

 
 
Entre, lieu de la différence
 
 

L'espace entre, comme lieu de tension entre des différences, peut s'éclaircir peu à peu en creusant le concept de différence. Là encore, Deleuze dans Différence et répétition, peut nous aider. La différence en soi, et non plus en relation à un identique, à un négatif, n'échappe pourtant pas au conflit. Il est vrai que le risque couru par une telle pensée immanente où se brouille l'intérieur et l'extérieur, est que se brouille en même temps toute possibilité décision, s'annulant tout lieu possible pour la décision, pour le critère, pour le choix. Pure acceptation de ce qui se donne dans cet entre, aucune possibilité de critique. Tel est le risque majeur, en philosophie comme en art, dans les tentatives radicales de sortir du schéma classique intérieur/extérieur, canons et jugements. 

Sera-ce vraiment possible comme l'annonce Deleuze de conserver une critique possible, de saisir la réalité des conflits en cours? 

«L'histoire ne passe pas par la négation, et la négation de la négation, mais par la décision des problèmes et l'affirmation des différences. Elle n'en est pas moins sanglante et cruelle pour cela.» 

Le fait que ces expériences d'improvisation desquelles nous parlons ici se donnent dans un contexte socio-politique particulier peut nous éclairer. S'agit-il d'une fuite en avant new-age, d'un repli sur des pratiques individuelles ou mini groupales, d'un désistement découragé de comprendre et d'agir sur le monde? Ou au contraire une possibilité de saisir plus à propos un monde qui s'accélère, en se mettant en mouvement? Sûrement un peu les deux et ni l'un ni l'autre. 

Dans quelle mesure peut-on y voir une participation de la critique radicale de la représentation comme l'ébauche possible d'un projet collectif, politique?

 
 

Une composition non dialectique, extra propositionnelle et sub-représentative.

 

Non répétition identique, répétition différentielle. C'est le travail même de l'improvisation, des répétitions sans répéter à l'avance, un travail de répétition qui n’est pas une tentative d'approcher à l'identique se qui se donnera en spectacle.

 

Non répétition identique d'un mouvement, non répétition d'une pièce, non répétition d'une œuvre dans une vie.

 

Une topologie de la relation

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Deleuze Gilles, Différences et Répétitions, PUF, Paris, 1968. p344

Publié dans aux front-tiers

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