braille?

Publié le par marie


J'aime passer les textes à travers mes doigts.

Recopier ce que je lis, dans un circuit sensible des yeux aux mains.

Crayon ou clavier, peu importe, la traduction physique du texte lu au texte écrit donne à saisir le rythme de l'écriture, le souffle de la phrase, dans le clapotis des touches ou le frottement du crayon sur la feuille.

Etendre la lecture dans un cercle sensori-moteur, manger le texte avec les doigts, appuyer les mots dans la matière.

 

 

"Il s'essayait à décrire –comme tous les jeunes poètes sempiternellement s'y essayent- la nature et, afin de rendre précisément une nuance de vert, il fit preuve de plus d'audace que la majorité et regarda la chose elle-même, qui se trouvait être un buisson de laurier poussant sous sa fenêtre. Après quoi, il fut incapable, comme de juste, d'écrire un mot de plus. Le vert de la nature est une chose, et une autre le vert en littérature. La nature et les lettres semblent entretenir une antipathie naturelle: mettez-les en contact et elles s'entredéchirent. La nuance de vert qui s'offrait à Orlando gâchait sa rime et déséquilibrait sa cadence. De plus, la nature nous joue des tours à sa façon. Pour peu qu'on observe, par la fenêtre, des abeilles parmi les fleurs, un chien qui bâille, le coucher du soleil, pour peu qu'on pense: "combien de fois verrai-je encore le soleil se coucher", etc. (le sentiment est trop banal pour mériter d'être développé plus avant), et voici qu'on pose la plume, qu'on prend son manteau et qu'on sort de la pièce à grands pas; ce faisant on se prend les pieds dans un coffre peint. Car Orlando était un tantinet maladroit."
Virginia Woolf, Orlando

 

Publié dans aux front-tiers

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