19 mars

Publié le par marie

C’est le jour de "mon anniversaire", et passe dans la rue le défilé des anciens combattants d’Algérie.

Le défilé m’émeut étrangement, encore une fois. Et chaque fois je me demande si pour eux ? pour l’Algérie ? pour moi et mon 19 mars initial ?

 

Enfant, j’allais à toutes les commémorations. Un rapport au passé, ou plutôt à la mémoire m’habitait. Les 40 anciens combattants regardaient avec intrigue, et, il ne faut pas se le cacher, admiration et orgueil, la gamine qui se tenait droite et solennelle devant le petit monument aux morts dans le cimetière de Montmerle, à côté de la chapelle, à 100 m de la maison de mes parents. J’y descendais en courant dès que j’entendais les premiers sons de clairon, souvent reproduits par le cube noir d’un haut-parleur. Je le méprisais un peu et m’imaginais une fanfare. Toutes les armistices y passaient, et mon émotion était inexplicable et évidente à la fois à mes yeux. Pas tant finalement du fait de la coïncidence de l’une de ces dates avec la déclaration de ma naissance, que pour l’émotion partagée avec ces gens pris par un souvenir partagé, là, au présent. Je regardais très attentivement leur tête à travers leur regard, et je croyais y voir en surimpression quelques détails, grossis et animés par leur nom propre, des images de mes livres d’histoire.

 

 

Plus amplement, les années dont je me souviens sous l’appellation « autour de mes 8 ans », dans une approximation faussement précise, étaient traversées par une inquiétude lancinante : je me demandais en tout présent ce que j’allais « retenir », moi, ou les autres, de ce que nous étions en train de vivre. Et, il faut bien le dire, n’avait de valeur que ce qui laissait des traces, radicalité de la prétention enfantine. Jugement intransigeant de ce qui valait le coup ou non, aux yeux imaginés d’un futur passé. Toute expérience passait au crible de ce qui s’inscrirait dans la mémoire, pas tant dans l’Histoire, que dans la mémoire intime, gestuelle, pratique et émotionnelle.

Alors m’obnubilait également ce qu’on laissait comme traces pour la suite. J’élaborais des plans pour mettre dans une boîte en fer des indices les plus quotidiens d’un présent, accompagné d’une lettre (oui, je réfléchissais à son adresse, « Chers… » qui ?) décrivant les moindres détails significatifs de ma vie (exemplairement, je me souviens, il fallait y laisser une brosse à dent, instrument qui me semblait à la fois devoir très rapidement disparaître, remplacée par un outil plus sophistiqué, et représenter absolument et totalement LA vie quotidienne). Le souci d’élaboration positive d’un archivage particulier se compliquait encore d’une volonté de ne laisser aucune fausse trace sur mon passage. Je m’inquiétais des os de poulet lancés au chat dans la cour qui feraient croire à un étrange rituel de cimetière animal aux « gens » qui mèneraient des fouilles dans un temps futur que je datais avec précision : « plus tard ». Il fallait donc rajouter à la notice explicative dans la boîte en fer que les os d’animaux qu’ « ils »  avaient trouvé dans leur fouille n’était pas les vestiges de rites funéraires, mais les parages approximatifs de la gamelle du chat. J’hurlais le jour où l’on a décidé de lancer par la fenêtre de ma chambre ces pierres volcaniques ramenées du Puy-de-Dôme et qui prenaient la poussière depuis lors sur l’étagère de ma chambre. Non pas que j’y étais foncièrement attachée (je n’y touchais jamais, j’y puisais à peine l’affirmation d’un certain intérêt pour la géologie, auquel je ne croyais pas vraiment, pas plus que pour l’histoire)  mais parce que j’étais offusquée que l’on ne prenne aucune considération pour le drame en cours : ces pierres allaient brouiller toutes les recherches futures sur la géologie du Revermont ! Mon haut sens de la responsabilité envers « plus tard » m’obligeait à la tâche infiniment précise de rajouter à la lettre dans la boîte en fer : « il n’y a jamais eu de volcans ici, ce sont des pierres ramenées de mes vacances en camping car à la Bourboule ».

 

Juste une inquiétude. La boîte en fer n’a jamais existé.

 

Juste l’inquiétude, celle de l’expérience du présent ; je n’ai jamais fait la boite, je n’ai jamais écrit la lettre, j’ai fait de la philosophie…

 

Expérience -toujours nécessairement « au présent »-, celle d’un temps qui se biaise non pas du passé, mais de ce qui au présent devient déjà passé.

 

Devenir passé au présent,

désir de vivre

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